lundi 12 mai 2014

Bruno Lantéri et Colossiens 3, 3

Bruno Lantéri et Colossiens 3, 3 

« Vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu. » (Col 3,3)

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Pour employer une expression chère à la compagnie Google, dans les logos qu’elle met à chaque jour sur son moteur de recherche : « Il y a 255 ans, naissait Bruno Lantéri ». Le Père Lantéri, comme vous le savez désormais, est le fondateur de la Congrégation religieuse à laquelle j’appartiens : Les Oblats de la Vierge Marie. Quelle grâce cette naissance de Bruno Lantéri a été pour moi. Grâce à cet homme, je vois mieux et je comprends mieux quel est le plan de Dieu dans ma vie. Grâce à lui, je connais davantage les dons et charismes que Dieu a mis en moi.

Aujourd’hui aussi se termine la neuvaine de prières que plusieurs d’entre vous ont fait monter vers Dieu pour la guérison de notre confrère Gregory Staab et pour la glorification de notre fondateur, c’est-à-dire, pour permettre qu’il soit reconnu un jour officiellement, comme étant un saint. Je remercie bien sincèrement toutes les personnes qui ont fait la neuvaine à cette intention. En octobre dernier, j’ai été à Boston pour quelques jours de réunion. J’ai eu la grâce de concélébrer une eucharistie aux côtés du Père Greg. Je entendu très clairement les râlements de Greg, dus à sa maladie. Déjà je le sentais souffrant physiquement et psychologiquement. J’imagine dans quel état il doit être maintenant, sept mois plus tard.

Ayant prié de tout notre cœur, pour la guérison de Greg, nous avons fait tout notre possible. L’impossible n’est possible qu’à Dieu. S’il y a une phrase de l’archange Gabriel que Marie a retenue, c’est bien celle-ci : « Rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1, 37).

Ceci étant dit, Dieu restera toujours le Souverain libre. Sa liberté souveraine sera toujours respectée. La réponse qu’il donnera à notre neuvaine, sera la plus belle des réponses, la meilleure des réponses. Le silence apparent de Dieu, est souvent la meilleure des réponses. La gloire de Dieu, chez l’évangéliste saint Jean, c’est la croix de Jésus. Jamais Dieu n’a été aussi glorifié que par l’amour et l’obéissance de son Fils sur la croix. Heureusement que Jésus n’est pas descendu miraculeusement de la croix, et que sa mort atroce ne Lui a pas été épargnée; il en allait de notre salut.

J’avoue que durant la dernière semaine, je trouvais un peu ironique et presque comique, de prier pour la glorification sur cette terre, de notre vénérable fondateur. Premièrement, parce que tout Oblat de la Vierge Marie, sait très bien que Bruno Lantéri n’a jamais cherché les honneurs. Au contraire, il les fuyait comme la peste. Vous pourrez lire par vous-mêmes dans un instant, ce qu’il pense des honneurs humains. Très souvent, notre fondateur ne signait pas les textes qu’il écrivait; ou il les écrivait sous un pseudonyme. Il le faisait peut-être par prudence, pour ne pas être accusé et mis en exil, mais il le faisait surtout par humilité.

Je désire vous présenter aujourd’hui un commentaire biblique de notre fondateur. Je considère ce commentaire comme étant très important pour connaître la figure et la spiritualité de Bruno Lantéri. Je n’ai même pas eu à traduire ce texte, car le Père Lantéri l’a écrit en français, dans la langue de Molière qu’il connaissait très bien.

Commentaire de Bruno Lantéri sur la phrase suivante de saint Paul, dans sa lettre aux Colossiens : « Vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu. » (Col 3,3)

Vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ. Quand Jésus-Christ qui est votre vie apparaîtra, alors vous apparaîtrez en gloire avec Lui (Aux Col.).

Vous êtes morts; à quoi? Au péché. Vous y êtes morts par le baptême, par la pénitence, par la profession de la vie chrétienne, de la vie religieuse vous êtes morts au péché; et comment pourriez-vous donc maintenant y vivre? Mourez-y donc à jamais, et sans retour; mais pour mourir parfaitement au péché, il faudrait mourir à toutes nos mauvaises inclinations, à toute la flatterie des sens et de l'orgueil: car tout cela dans l'Écriture s'appelle péché, parce qu'il ne nous permet pas d'être entièrement sans péché.

Quand est-ce donc que s'accomplira cette parole de S. Paul: Vous êtes morts? Dans quel bienheureux endroit de notre vie? Quand serons-nous sans péché? Jamais dans le cours de cette vie puisque nous avons toujours besoin de dire: pardonnez-nous nos péchés. À qui donc parle S. Paul, quand il dit: Vous êtes morts: est-ce aux esprits bienheureux? Sont-ils morts, et ne sont-ils pas au contraire dans la terre des vivants? Sans doute; ce n'est point à eux à qui S. Paul dit: Vous êtes morts. C'est à nous, parce qu'encore qu'il y ait en nous quelque reste de péché, le péché a reçu le coup mortel. La convoitise du mal reste en nous, et nous avons à la combattre toute notre vie. Mais la tenons-nous atterrée, abattue, et anéantie? Nous le devrions, nous le pouvons avec la grâce de Dieu; et alors elle reçoit le coup mortel. Et si pendant le combat, elle nous donnait quelque atteinte, nous ne cesserions de gémir, de nous humilier, de dire avec S. Paul: qui me délivrera de ce corps de mort? Vous en êtes donc délivrées, âmes chrétiennes! Vous en êtes délivrées en espérance, et en vœu: vous êtes morts. Il ne vous faut plus qu'un drap mortuaire, un voile sur votre tête, un sac sur votre corps, d'où soient bannies à jamais toutes les marques du siècle, toutes les enseignes de la vanité. Il ne vous faut qu'une impénétrable retraite pour vous servir de tombeau. Cela est fait: vous êtes morts, et votre vie est cachée; ce n'est donc pas une mort entière; c'est ce que disait S. Paul: Si Jésus-Christ est en vous, votre corps est mort à cause du péché qui y a régné, et dont les restes y sont encore; mais votre esprit est vivant à cause de la justice qui a été répandue dans vos cœurs avec la charité. C'est à raison de cette vie de la justice que S. Paul nous dit aujourd'hui: et votre vie est cachée en Dieu

Qu'on est heureux! Qu'on est tranquille! Affranchi des jugements humains, on ne compte plus pour véritable que ce que Dieu voit en nous, ce qu'il en sait, ce qu'il en juge. Dieu ne juge pas comme l'homme; l'homme ne voit que le visage, que l'extérieur; Dieu pénètre le fond des cœurs; Dieu ne change pas comme l'homme; son jugement n'a point d'inconstance; c'est le seul sur lequel il faut s'appuyer. Qu'on est heureux alors! Qu'on est tranquille! On n'est plus ébloui des apparences, on a secoué le joug des opinions; on est uni à la vérité, et on ne dépend que d'elle. On me loue, on me blâme; on me tient pour indifférent, on me méprise; on ne me connaît pas, ou l'on m'oublie: tout cela ne me touche pas, je n'en suis pas moins ce que je suis, l'homme se veut mêler d'être Créateur; il me veut donner un être dans son opinion, ou dans celle des autres: mais cet être qu'il me veut donner (et qui néanmoins n'est pas en moi) est un néant: car qu'est ce qu'un être qu'on me veut donner, sinon une illusion, une ombre, une apparence; c'est-à-dire dans le fond un néant. Qu'est-ce que mon ombre qui me suit toujours, tantôt derrière, tantôt à côté? Est-ce mon être? Rien de tout cela. Mais cette ombre semble marcher et se remuer avec moi? Ce n'est pas plus mon être.

Ainsi en est-il du jugement des hommes qui veut me suivre partout, me peindre, me figurer, me faire mouvoir à sa fantaisie; et il croit par là me donner une sorte d'être, mais au fond, je le sens bien, ce n'est qu'une ombre, une lumière changeante, qui me perd tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, allonge, apetisse, augmente, diminue cette ombre qui me suit, la fait paraître en diverses sortes en ma présence, et la fait aussi disparaître en se retirant tout à fait, sans que je perde rien du mien. Et qu'est-ce que cette image de moi-même que je vois encore plus expresse, et en apparence plus vive dans cette eau courante? Elle se brouille et souvent elle s'efface elle-même, elle disparaît quand cette eau est trouble! Qu'ai-je perdu? Rien du tout qu'un amusement inutile. Ainsi en est-il des opinions, des bruits, des jugements fixes si vous voulez, où les hommes avaient voulu me donner un être à leur mode. Cependant non seulement je m'y amusais comme à un jeu, mais encore je m'y arrêtais comme à une chose sérieuse et véritable: et cette ombre et cette image fragile me troublaient et m'inquiétaient en se changeant; et je crois perdre quelque chose. Désabusé maintenant d'une erreur dont je ne devais jamais me laisser surprendre, et encore moins m'entêter, je me contente d'une vie cachée, et je consens que le monde me laisse tel que je suis. Qu'on est tranquille alors! Encore une fois, qu'on est heureux!
Que me profitent ces louanges qu'on me donne? Elles achèvent de m'enivrer, de me séduire. Si le monde loue le bien que je lui fais, tant mieux pour lui: “Mes frères, disait un grand saint, ce serait vous porter envie de ne vouloir pas que vous louassiez les discours où je vous annonce la vérité. Louez-les donc, car il faut bien que vous les estimiez et les louiez afin qu'ils vous profitent. Je veux donc bien vos louanges parce que sans elles je ne puis vous être utile. Mais pour moi qu'en ai-je à faire? Ma vie et ma conscience me suffisent. L'approbation que vous me donnez vous est utile à vous, mais pour moi elle m'est dangereuse. Je la crains, je vous la renvoie, je ne la veux que pour vous; et pour moi, ma vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ; c'est là ma sûreté, c'est là mon repos”.

Pour moi, disait saint Paul, je me mets fort peu en peine d'être jugé par les hommes, ou par le jugement humain. Les hommes me veulent juger et ils m'ajournent, pour ainsi dire, devant leur tribunal pour subir leur jugement, mais je ne reconnais pas ce tribunal, et le jour qu'ils ont marqué, comme on fait dans les jugements, pour prononcer leur sentence, ne m'est rien. Qu'on me mette devant ou après celui-ci, ou celui-là, au-dessus, ou au-dessous: qu'on me mette en pièces, qu'on m'anéantisse comme par un jugement dernier: je me laisse juger sans m'émouvoir, ou si je m'en émeus, je plains ma faiblesse, car ce n'est pas aux hommes à me juger: je ne me juge même pas moi-même. Le premier des jugements humains, dont je suis désabusé, c'est le mien propre, car encore que ma conscience ne me reproche rien, je ne me tiens pas justifié pour cela. C'est le Seigneur seul qui me juge.

Soyez donc cachés aux hommes sous les yeux de Dieu, comme inconnus, disait le même S. Paul, et toutefois bien connus, puisque nous le sommes de Dieu; comme morts à l'égard du monde, où nous ne sommes plus rien et toutefois nous vivons et notre vie est cachée en Dieu; la balayure du monde, mais précieux devant Dieu, pourvu que nous soyons humbles et que nous sachions tirer avantage du mépris qu'on fait de nous; tranquilles, indifférents à tout ce que le monde dit et fait de nous; soit qu'il nous mette à droite ou à gauche, du bon ou du mauvais côté, dans la gloire ou dans l'ignominie, dans la bonne ou dans la mauvaise réputation, nous allons toujours le même train, comme tristes par la gravité et le sérieux de notre vie, par la tristesse apparente de notre retraite et de nos humiliations et néanmoins toujours dans la joie par une douce espérance qui se nourrit dans le fond de notre cœur, comme pauvre et enrichissant le monde par notre exemple, si nous avons le courage de lui montrer qu'on se peut passer de lui, comme n'ayant rien et possédant tout et parce que moins nous avons des biens que le monde donne, plus nous possédons Dieu qui est tout. Fuyons, fuyons le monde et tout ce qui est dans le monde car ce n'est que corruption: vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste, vanité des vanités et tout est vanité. Crains Dieu et garde ses commandements car c'est là tout l'homme, ou comme d'autres traduisent: c'est le tout de l'homme.

Cachée en Dieu; quel mystère…

Et ma vie est cachée en Dieu: cachée en Dieu; quel mystère? Cachée dans le sein de la lumière, dans le principe de voir. Oui, cette haute et inaccessible lumière me cache le monde, me cache au monde et à moi-même. Je ne vois que Dieu. Je ne suis vu que de Dieu. Je m'enfonce si intimement dans son sein, que les yeux mortels ne m'y peuvent suivre. De mon côté, je ne puis me détourner d'un si digne, d'un si doux objet; attaché à la vérité même, je n'ai plus d'yeux pour la vanité; c'est ainsi que je devrais être, s'il y a en moi quelque chose de chrétien, c'est ainsi que je veux être. Ô Dieu, mes yeux s'affaiblissent, se confondent à force de regarder en haut; mes yeux défaillent, ô Seigneur, pendant que j'espère en vous. Ô Seigneur, soutenez ces yeux défaillants, arrêtez mes regards en vous, et détournez-les des vanités, des illusions, des biens trompeurs et de tout l'éclat de la terre, afin que je ne le voie seulement pas et qu'un tel néant ne tire pas seulement de moi un coup d'œil. Averte oculos meos ne videant vanitatem. Ajoutez ce qui suit: in via tua vivifica me, donnez-moi la vie en m'attachant à vos voies, que je ne voie pas les vanités, que j'en retire tout jusqu'à mes yeux; c'est par là que, m'attachant à vos voies, vous me donnerez la vie et ma vie sera cachée en vous.

Celui qui aime Dieu, disait S. Paul, en est connu. Maintenant que vous connaissez Dieu, ou plutôt que vous en êtes connus, comment pouvez-vous retourner à ces faibles et stériles observances, ou vous voulez vous assujettir de nouveau? C'est ce que disait S. Paul, en parlant des observances de la loi, et on le peut dire de même de tous les stériles attachements de la terre, et de toute la gloire du monde; maintenant que vous avez connu Dieu, ou plutôt que vous êtes connu de Lui, que votre vie est cachée en Lui, que vous ne voyez que Lui, et qu'il est, pour ainsi parler, attentif à vous regarder, comme s'il n'avait que vous à voir. Comment pouvez-vous voir autre chose? Comment pouvez-vous souffrir d'autres yeux que les siens? Et votre vie est cachée en Dieu. Je vous vois donc Seigneur et vous me voyez et plût à Dieu que vous me vissiez de cette tendre et bienheureuse manière dont vous privez justement ceux à qui vous dites: “je ne vous connais pas”: plût à Dieu que vous me vissiez de cette manière dont vous voyiez votre serviteur Moïse, en lui disant: “Je te connais par ton nom, et tu as trouvé grâce devant moi”; et un peu après: “Je ferai ce que tu demandes, parce que tu plais à mes yeux, et je te connais par ton nom”, c'est-à-dire: “Je t'aime, je t'approuve”; mon Dieu, si Vous me connaissiez de cette sorte, si Vous m'honoriez de tels regards, qu'ai-je à désirer davantage?

Si Vous m'aimez, si Vous m'approuvez, qui serait assez insensé pour ne se pas contenter de votre approbation, de vos yeux, de votre faveur? Je ne veux donc autre chose; content de vous voir, ou plutôt d'être vu de Vous, je Vous dis avec le même Moïse: “Montrez-moi votre gloire, montrez-Vous Vous-même”. Et si Vous me répondez comme à lui: “Je te montrerai tout le bien, tout le bien qui est en moi, et toute ma perfection, tout mon être, et je prononcerai mon nom devant ta face, et tu sauras que je suis le Seigneur, qui ai pitié de qui je veux, et qui fais miséricorde à qui il me plaît”. Que me faut-il de plus pour être heureux autant qu'on le peut être sur la terre? Et quand Vous me direz comme à Moïse: “Tu ne verras pas maintenant ma face: tu la verras un jour; mais ce n'est pas ici le temps: car nul mortel ne la peut voir; mais je te mettrai sur la pierre; je t'établirai sur la foi, comme sur un immuable fondement. Et je te laisserai une petite ouverture, par laquelle tu pourras voir mon incompréhensible lumière: et je mettrai ma main devant toi. Moi-même je me couvrirai des ouvrages de ma puissance: et je passerai devant toi, et je retirerai ma main en un moment, et je ferai outrepasser tout ce que j'ai fait et tu me verras par derrière: obscurément, imparfaitement, par mes grâces, par une réflexion, et un rejaillissement de ma lumière comme le soleil qui se retire, qui se couche, est vu par quelques rayons qui restent sur les montagnes à l'opposite”. N'est-ce pas de quoi me contenter, en attendant que je voie la beauté de votre face désirable que Vous me faites espérer?






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